Pilote du team français de SailGP depuis plus d’un an, Quentin Delapierre partage sa méthode dans cet univers très anglo-saxon, et impressionne par les performances de son équipe.

Actuellement 3e au classement général provisoire après deux victoires de Grand Prix SailGP, Quentin multiplie les défis. Il y a quelques semaines, l’étoile montante de la voile française a rejoint en parallèle l’Orient Express Team en tant que barreur du défi français engagé sur la 37e America’s Cup. A seulement 30 ans, il est désormais à la tête de ce qu’il considère comme “les deux plus beaux et prestigieux projets qui existent aujourd’hui”. Son objectif : mettre la France sur le devant de la scène mondiale entourée de son équipe.

Portrait d’un skipper qui apprend aussi vite qu’il navigue.

Jusqu’alors, plutôt piqué par la course au large, le monde de la voile française, épaté par leur précision, leur engagement et leur audace, fait désormais les yeux doux à ces régatiers rois de la vitesse. Le barreur français de SailGP est aujourd’hui considéré comme un régatier de tout premier plan. L’America’s Cup, le Tour de France à la Voile, les grandes écoles du Lac Léman, les circuits de régates internationaux et les jeux Olympiques ont progressivement embrassé les multicoques. Désormais, les équilibristes sont des experts du top niveau.

Season 3 // France SailGP Team // Quentin Delapierre in Mixed Zone

Bien sûr, de son côté, Quentin Delapierre a évolué. Grandi. Il a poussé graduellement les murs de ses exigences et rehaussé ses ambitions. Mais l’enfant qui faisait du golfe du Morbihan une piste aux étoiles n’est pas si différent du jeune trentenaire devenu pilote air-mer pour SailGP, le plus performant, le plus rapide, le plus exigea
nt circuit de régates en multicoque.

ÉPATÉ, MAIS PAS IMPRESSIONNÉ

Depuis septembre 2021, le Morbihannais croise “le foil” avec ces légendes de la voile internationale que sont, entre autres, le Britannique sir Ben Ainslie, cinq médailles olympiques dont quatre d’or, Jimmy Spithill, double vainqueur de l’America’s Cup (2010, 2013) et Tom Slingsby, médaillé d’or aux jeux Olympiques de Londres 2012 en Laser, cinq fois champion du monde, vainqueur de l’America’s Cup 2013 (à la stratégie) et double vainqueur du circuit SailGP. Ces titans auraient de quoi impressionner tout talentueux navigateur, mais pas Quentin Delapierre : « J’ai toujours regardé la concurrence à ma façon : je vois le bateau anglais, ou australien, pas son skipper. Et ma seule envie est de ‘bouffer’ le bateau ».

Le barreur français est en mesure de battre ces géants de la régate. Il le sait : il l’a fait. À Cadix en septembre dernier. Un an pile après s’être vu confier la barre du F50 aux couleurs de la France, Quentin a fait gagner son premier Sail Grand Prix à son équipe. Cette victoire peut être portée au crédit d’une certaine façon d’appréhender la voile dans un paradis du Morbihan, à une méthode de management vertueuse, à l’obsession de la performance… et aux hasards de la vie.

Season 3 // France SailGP Team // Quentin Delapierre behind the wheel

UNE EXPERTISE QUI PORTE AUX COULEURS DU MORBIHAN

Commençons alors par rendre hommage aux aléas de la destinée. Un papa funboarder sur les étapes de coupe du monde, qui pose son fils de six ans sur un Optimist. Un coup de vent démoralisant, puis les bienfaits de la voile scolaire, qui lui permet de renouer avec la mer, deux ou trois ans plus tard. Quentin est inscrit à la Cataschool de Larmor-Baden, dans un recoin du golfe du Morbihan. Il y a là l’embouchure de la rivière d’Auray, les îles rocheuses de Berder et de la Jument. Entre les deux, s’écoule le courant de la Jument, le deuxième plus puissant courant d’Europe – 9,1 nœuds au plus fort de la marée. Un anachronisme dans ce golfe fermé dont on tombe amoureux à la première navigation. L’école de l’adaptation par excellence. Les mots de Quentin Delapierre vous embarquent : « Pour moi, le golfe du Morbihan est le plus beau plan d’eau du monde. C’est un endroit magique. Il y a des îles, des dévents, des courants, un vent pas stable. J’y ai affiné mes sensations à la barre, aux écoutes, dans les voiles ». Par fidélité à son club de toujours, par souci de préserver son identité, il en est aujourd’hui vice-président.

LA NAISSANCE DE LA MÉTHODE DELAPIERRE

Minot, Quentin grimpe sur les podiums des championnats de France, mais la régate en multicoque s’essouffle, et il tente sa chance en Laser. Il dit : « C’était totalement différent, mais je voulais de la confrontation ». Après deux ans d’apprentissage en autodidacte, il intègre l’Équipe de France, mais se donne des entorses aux deux chevilles, et arrête. Ces blessures et l’impossibilité de financer son entrée dans le circuit mondial ont raison de sa carrière en Laser. Avec son ami et voisin de plan d’eau d’alors, Matthieu Salomon, Quentin lance un projet en J80. Le plan : performer, se faire repérer. Et ça marche. Après un an et demi d’activité, les voici champions d’Europe, et sollicités par Golfe du Morbihan - Vannes Agglomération et Daniel Souben, légende vivante du Tour de France à la Voile devenu entraîneur-manager. Le Tour Voile a adopté un trimaran monotype, le Diam 24, et quoi de mieux que des Vannetais pour faire bon ménage ? « On a voulu faire partie de l’équipe, se remémore Quentin, à une condition : que nous ayons la main sur l’équipage ». Pour faire naviguer les copains ? Raté. « Ma vision est qu’additionner les meilleurs, les plus titrés, ce n'est pas forcément suffisant pour gagner : à chaque niveau, beaucoup de marins partagent les mêmes capacités, les mêmes compétences. La différence ne se fait pas sur la technique, mais sur l’état d’esprit. Il faut de la conviction pour aller chercher la victoire ».

Sur le Tour Voile, le parti-pris fonctionne. Premier équipage amateur en 2015, le team morbihannais s’impose en 2016 avec maestria, et récidive en 2018. Entre ces deux succès, l’équipe vit un échec cuisant... et fondateur. Quentin : « On s’est pris un arbre, mais c’était un arbre riche en enseignements ». La méthode Delapierre s’assoit désormais sur quatre piliers. À l’état d’esprit tourné vers l’engagement s’ajoutent la soif de vaincre, l’impératif de la transparence et la salutaire capacité d’autocritique.

KEVIN PEPONNET, LE FRÈRE D’ARMES

Kevin Peponnet est fait de ce bois-là. Blague facile et mental en acier trempé, le régleur d’aile a rejoint le F50 français à la demande de Quentin Delapierre. Il a fallu insister, parce qu’on regarde toujours l’amitié un peu de travers, mais le Vannetais ne se voyait pas performer sans ce barreur, régleur, ingénieur et athlète olympique qui, lui aussi, se nourrit de la pression. Le lien sportif s’est tissé durant le Tour Voile 2015, il n’a cessé de se renforcer. De lui, Quentin Delapierre dit qu’il est « un bosseur acharné, un compétiteur hors-norme qui te prouve qu’il veut et va gagner, sans démonstration extravertie. Il fait en sorte d’être bon avant d’être un bon pote. Il regarde toujours devant ».

En 2020, Quentin réalise l’exploit de se faire sélectionner en seulement 1 an pour les jeux, du jamais vu dans l’histoire de la voile olympique. Avec Kevin, les deux font donc aussi la paire lors des jeux Olympiques de Tokyo 2020, disputés en 2021. Ils n'étaient pas sur le même bateau, mais dans la même chambre. Ils ont connu les mêmes joies d’avant-JO, chacun empochant de l’or. Avec Manon Audinet, Quentin s’empare du titre sur la coupe du monde d’Enoshima et d’un titre de vice-champion d’Europe. Avec Jérémie Mion, Kevin devient champion du monde de 470, le dériveur sur lequel son oncle, Thierry Peponnet, a été champion olympique en 1988. les deux partageront leurs désillusions,l’énergie qui s’étiole, la magie qui disparaît. L’un a terminé 7e, l’autre 11e. Quentin rêvait de médaille olympique au point de renoncer à la proposition qui lui avait été faite de faire de la course au large, sur un trimaran de 50 pieds, à la veille de la signature qui aurait lancé la construction de son Ocean Fifty avec le soutien de ses partenaires. « Un tel projet, ça ne se refuse pas… et je l’ai refusé : tu ne lances pas un projet olympique quand tu as plus de trente ans ». Repensant à ces jours où la déprime tournait entre quatre murs.

« ALLO, ICI SAILGP, VOUS VOULEZ VENIR JOUER ? »

La déprime aurait pu durer mais, un mois et demi après les Jeux, Bruno Dubois, le manager général de l’équipe française de SailGP, fait sonner le téléphone : « J’ai besoin de sang neuf, j’ai pensé à toi ». SailGP ? L’ultra-vitesse en multicoque ? Des champions olympiques pour adversaires ? Des régates au contact à plus de 40 nœuds ? « Forcément, tu dis oui ! Puis après… tu as une petite goutte qui coule sur le front. C’était un objectif que de rejoindre ce circuit génial, mais je n’y pensais plus trop après ma désillusion olympique ». L’étape andalouse de Cadix 2021 se présente déjà. Quentin a à peine passé deux journées sur le simulateur que le voilà propulsé pilote du catamaran volant qui excite tous les régatiers de la planète. « La première fois que j’ai vu le ‘morceau’ au hangar, j’ai senti que ce ne serait pas facile. Ce bateau te fait redécouvrir ton sport, tu touches des vitesses sidérantes… Moi, j’ai pris 50 nœuds lors de mon deuxième jour à la barre, on venait juste de sortir du port. Et c’est génial : tous tes sens sont en éveil, tu vis chaque seconde à plein régime ».

Après le départ de Leigh McMillan pour un projet America’s Cup, le team français a besoin d’un régleur d’aile. Ressurgit alors le pote de chambrée japonaise – Kevin Peponnet – dont il faut défendre la candidature. Un succès. D’abord parce que le duo que forment le pilote et le régleur d’aile est un paramètre fondamental de la performance. Ensuite parce que Kevin apporte à une équipe déjà très armée un surcroît d’esprit de conquête. « Quand tu vas chercher la victoire, il faut que tes navigateurs aient envie de ne jamais rien lâcher, reprend Quentin. Même si on fait un mauvais bord, on navigue avec la volonté de regarder devant, et pas derrière. Nous avons tous la conviction que, lorsque nous serons au niveau technique des meilleurs (ce qui n’est pas encore le cas), la cohésion d’équipe nous permettra de nous hisser au plus haut ».

CADIX, LE TRIOMPHE DE LA COMMUNICATION

La flamboyante victoire à Cadix, le 25 septembre dernier, est venue saluer, pile un an après l’arrivée de Quentin Delapierre, les progrès constants de l’équipe. Les sommets approchent, mais Quentin prévient : « Une des qualités les plus importantes en SailGP, c’est l’humilité. Sans elle, tu n’auras que des résultats en dents de scie. Je suis convaincu que même Tom Slingsby reste très humble malgré la confiance qu’il affiche. Mais il faut être ambitieux, sous peine de ne pas assez travailler ».

Le team travaille sur tous les sujets, notamment celui de la communication. À Cadix, en pleine manche de qualification, on a entendu Quentin Delapierre coordonner l’amorce d’une manœuvre en disant « s’il-vous-plaît » à la fin. D’une voix posée, toute en maîtrise. « Nous sommes bien aidés par ces micros qui nous permettent de ne pas avoir à lever la voix pour se faire entendre. Mais c’est aussi mon rôle que de coordonner les efforts, de faire en sorte qu’ils subliment leurs compétences, qu’ils exploitent leur énergie. Si je hurle, je les inhibe. Si je garde un ton posé, ils sentent que j’ai la maîtrise de la stratégie et de bonnes sensations dans la barre. Et puis c’est dans ma nature que de chercher à donner confiance aux gens. Je déteste les équipages où les navigateurs regardent la pointe de leurs pieds ».

FAIRE EXISTER LA RÉGATE À LA FRANÇAISE

En un an et demi Quentin Delapierre a montré qu’il avait toute sa place dans la cour des grands, signe deux victoires et se retrouve 4 fois en finale. Ses rivaux regardent les performances du F50 français d’un œil avisé, peut-être même inquiet. Patron plénipotentiaire du circuit SailGP, la légende néo-zélandaise Russell Coutts ne regrette pas avoir validé l’arrivée de Quentin au sein du France SailGP Team. Son rapport à Quentin a changé : « Au début, il était un peu distant, pour ne pas me faire oublier que l’objectif est de performer, et pas seulement de faire le nombre sur le circuit, se remémore Quentin. Je suis admiratif de ce qu’il a fait en tant que marin et de ce qu’il fait en tant que chef d’entreprise. Il est très impressionnant, mais il est aussi fin, capable de saisir l’essentiel et de pointer le doigt sur le détail qui va faire la différence ».

Si attaché à son identité morbihannaise et française, Quentin revendique un combat intime : « Montrer aux Anglo-Saxons qu’il faut cesser de nous voir comme les Petit Poucet de la régate, c’est ma motivation de tous les jours. SailGP nous permet de nous affranchir des barrières financières et technologiques. Si on bosse bien dans ce circuit où prime l’excellence de l’équipage, qu’on y met l’énergie qu’il faut, on saura faire la démonstration des armes du french flair ».